Entretien
avec Rachida, 39 ans, femme de ménage.
Rachida est mariée et mère d’un enfant âgé de dix ans, elle habite à Salé. Dans cet entretien, elle se prononce sur le discours de Benkirane a propos de la
femme et le travail.
As-tu entendu parler du dernier discours de
Benkirane sur la femme ?
Oui,
bien sûr. Les gens en parlent dans le bus et dans le grand taxi. Les gens
disent que Benkirane dit, pour la première fois, une chose importante :
que la femme reste à la maison. Les hommes qui en parlaient n'avaient pas l'air de trouver ça choquant.
Mais d’après
ce que j’ai vu et entendu, les femmes ne sont pas d’accord.
Qu’en penses-tu ?
Si
je ne travaille pas, je ne vis pas.
Mon
fils est asthmatique, pour acheter de la ventoline, il me faut 125 dirhams tous
les trois jours. Il faut bien les payer, est-ce Benkirane qui va s’en charger ?
Si
je laisse mon mari, pompiste, travailler seul, on ne pourra pas manger à notre
faim. Déjà, avant que je ne commence à faire le ménage dans les maisons, on ne
déjeunait qu’un jour sur deux, parce qu’il fallait penser au loyer, à l’électricité,
à l’eau. Maintenant, j’ai une facture de 300 dirhams d’électricité, comment la
payer si je ne travaille pas ?
Mon
fils et moi ainsi que mon mari vivons dans une chambre et mon fils dort dans la
même pièce que nous. Par la force de mon travail et celui de mon mari, on a pu
contracter un crédit pour acheter un appartement dans un lotissement pour
logements écomique.
Si
je ne travaille pas, comment payer à chaque échéance ?
Votre fils souffre-t-il du fait que tu travailles ?
Mon
fils va très bien. Je fais en sorte qu’il vive bien, qu’il mange à sa faim et
qu’il s’habille correctement. Si je reste à la maison, je ne pourrai rien faire
pour lui.
Une
grande partie de mon salaire sert à payer l’école privée dans laquelle il est
inscrit, je refuse qu’il soit dans une école publique.
D’ailleurs,
si Benkirane veut faire quelque chose pour nous, il peut penser à améliorer nos
écoles publiques.
Certaines personnes disent que le "peuple" est d’accord avec ce que dit Benkirane et que seule une petite élite
francophone s’y oppose, qu’en penses-tu ?
Au
contraire, c’est le pauvre que ces paroles choquent. Pourquoi ? Le riche a
de quoi vivre dans tous les cas, il a ses réserves. Mais si, moi, je ne
travaille pas, on sera dans la rue.
Au
lieu de penser à améliorer nos conditions de travail, il y a des hausses de
prix partout. Tout ce qu’on veut, c’est manger et que nos enfants soient
scolarisés.
J’ai
des voisines délaissées par leur mari, que doivent-elles faire ? Ne pas
travailler ?
On
ne travaille pas au détriment de nos enfants, on travaille pour eux.
Que représente le travail pour toi ?
Je
ne peux pas rester à la maison sans travailler. C’est comme attendre la mort.
Je viens de la campagne, et depuis toute petite, je voyais ma
mère travailler sur la terre. Les gens ne le savent pas, mais les femmes font
exactement le même travail que l’homme dans le milieu rural, tout en s’occupant
des enfants, de la cuisine et du ménage
Qu’est-ce que tu souhaiterais améliorer
dans tes conditions de travail ?
Mes
parents m’ont obligée à travailler dans les maisons depuis que j’ai 12 ans,
alors le travail, je sais ce que c’est.
Pour
les femmes qui travaillent comme moi dans les maisons, c’est important d’avoir
des papiers. La solution c’est d’encourager les femmes, faire en sorte qu’elles aient un salaire minimum, un système de retraite. Faire en sorte qu’elle aient des droits, tout simplement.
Je
connais des femmes qui travaillent du matin jusqu’au soir, dans des conditions
pourries. C’est à elles que Benkirane doit s’intéresser.
On ne demande pas
l’impossible, moi je n’ai pas été à l’école, je sais que je ne peux pas viser
très haut. Mais j’ai des droits.
Je
veux, comme l’homme, que mon pays aille de l’avant, et cela ne se fera pas en
restant à la maison.
Ces propos ont été traduits de la darija au français.
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