jeudi 26 juin 2014

Entretien avec Rachida, 39 ans, femme de ménage : "On ne travaille pas au détriment de nos enfants, on travaille pour eux."

Entretien avec Rachida, 39 ans, femme de ménage. 
Rachida est mariée et mère d’un enfant âgé de dix ans, elle habite à Salé. Dans cet entretien, elle se prononce sur le discours de Benkirane a propos de la femme et le travail.

As-tu entendu parler du dernier discours de Benkirane sur la femme ?

Oui, bien sûr. Les gens en parlent dans le bus et dans le grand taxi. Les gens disent que Benkirane dit, pour la première fois, une chose importante : que la femme reste à la maison. Les hommes qui en parlaient n'avaient pas l'air de trouver ça choquant.
Mais d’après ce que j’ai vu et entendu, les femmes ne sont pas d’accord.

Qu’en penses-tu ?

Si je ne travaille pas, je ne vis pas.
Mon fils est asthmatique, pour acheter de la ventoline, il me faut 125 dirhams tous les trois jours. Il faut bien les payer, est-ce Benkirane qui va s’en charger ?
Si je laisse mon mari, pompiste, travailler seul, on ne pourra pas manger à notre faim. Déjà, avant que je ne commence à faire le ménage dans les maisons, on ne déjeunait qu’un jour sur deux, parce qu’il fallait penser au loyer, à l’électricité, à l’eau. Maintenant, j’ai une facture de 300 dirhams d’électricité, comment la payer si je ne travaille pas ?

Mon fils et moi ainsi que mon mari vivons dans une chambre et mon fils dort dans la même pièce que nous. Par la force de mon travail et celui de mon mari, on a pu contracter un crédit pour acheter un appartement dans un lotissement pour logements écomique.
Si je ne travaille pas, comment payer à chaque échéance ?

Votre fils souffre-t-il du fait que tu travailles ?

Mon fils va très bien. Je fais en sorte qu’il vive bien, qu’il mange à sa faim et qu’il s’habille correctement. Si je reste à la maison, je ne pourrai rien faire pour lui.
Une grande partie de mon salaire sert à payer l’école privée dans laquelle il est inscrit, je refuse qu’il soit dans une école publique.
D’ailleurs, si Benkirane veut faire quelque chose pour nous, il peut penser à améliorer nos écoles publiques.

Certaines personnes disent que le "peuple" est d’accord avec ce que dit Benkirane et que seule une petite élite francophone s’y oppose, qu’en penses-tu ? 

Au contraire, c’est le pauvre que ces paroles choquent. Pourquoi ? Le riche a de quoi vivre dans tous les cas, il a ses réserves. Mais si, moi, je ne travaille pas, on sera dans la rue.  
Au lieu de penser à améliorer nos conditions de travail, il y a des hausses de prix partout. Tout ce qu’on veut, c’est manger et que nos enfants soient scolarisés.
J’ai des voisines délaissées par leur mari, que doivent-elles faire ? Ne pas travailler ?
On ne travaille pas au détriment de nos enfants, on travaille pour eux.

Que représente le travail pour toi ?

Je ne peux pas rester à la maison sans travailler. C’est comme attendre la mort.
Je viens de la campagne, et depuis toute petite, je voyais ma mère travailler sur la terre. Les gens ne le savent pas, mais les femmes font exactement le même travail que l’homme dans le milieu rural, tout en s’occupant des enfants, de la cuisine et du ménage

Qu’est-ce que tu souhaiterais améliorer dans tes conditions de travail ?

Mes parents m’ont obligée à travailler dans les maisons depuis que j’ai 12 ans, alors le travail, je sais ce que c’est.

Pour les femmes qui travaillent comme moi dans les maisons, c’est important d’avoir des papiers. La solution c’est d’encourager les femmes, faire en sorte qu’elles aient un salaire minimum, un système de retraite. Faire en sorte qu’elle aient des droits, tout simplement.
Je connais des femmes qui travaillent du matin jusqu’au soir, dans des conditions pourries. C’est à elles que Benkirane doit s’intéresser.
On ne demande pas l’impossible, moi je n’ai pas été à l’école, je sais que je ne peux pas viser très haut. Mais j’ai des droits.

Je veux, comme l’homme, que mon pays aille de l’avant, et cela ne se fera pas en restant à la maison.




Ces propos ont été traduits de la darija au français. 


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