Un
arrêt récent de la Cour suprême marocaine vient de casser un arrêt de la Cour
d’appel de Kenitra condamnant un employeur à indemniser un salarié pour
licenciement abusif.
Cet
employé de maison effectuait des tâches diverses comme le jardinage, le gardiennage
ainsi que la cuisine. Suite à son licenciement, il réclame des
dommages-intérêts pour licenciement abusif. Cette demande accueillie par la
Cour d’appel est rejetée par la Haute juridiction qui motive sa décision par
l’absence d’une loi spéciale réglementant le travail des domestiques.
Sur l’existence d’un lien de subordination.
L’article
6 du Code du travail marocain dispose : « est considérée comme salariée toute personne qui s’est engagée à
exercer une activité professionnelle sous la direction d’un ou de plusieurs
moyennant rémunération quels que soient sa nature et son mode de paiement ».
Le
salarié s’engage donc à effectuer une prestation en faveur d’un employeur
contre une rémunération.
Ce
même article ajoute dans un deuxième alinéa « est considéré comme employeur toute personne physique ou morale, privée
ou publique, qui loue les services d’une ou plusieurs personnes physiques »
En
l’espèce, nous sommes en présence d’une personne physique (A) effectuant des
travaux de jardinage, de gardiennage et de cuisine au profit d’une personne
privée (B) qui la rémunère.
(A)
et (B) sont liés par un lien de subordination, puisque (B) exerce un pouvoir de
direction, de contrôle et un pouvoir disciplinaire sur (A).
Ainsi,
nous pouvons d’ores et déjà dire que (A) est salarié et que (B) est employeur.
Ce
simple constat est important, puisqu’il soumet les parties à l’application du
Code du travail. Or, la Cour suprême préfère, au lieu de retenir cette
qualification afin de protéger le salarié, la rejeter et donc protéger l’employeur
– le Code du travail étant surtout dans une logique de protection du salarié,
et non d’égalité entre les parties, comme c’est le cas du Code civil.
Sur l’inexistence d’un contrat écrit.
La
loi n’impose en aucun cas que le contrat de travail soit écrit. En effet, seuls
doivent être écrits les contrats de travail à durée déterminée – ce qui ne
semble pas être le cas en l’espèce. Quand bien même ce serait le cas, le CDD non
écrit est requalifié en contrat à durée indéterminée, ce qui profite, in fine, au salarié.
D’ailleurs,
l’article 15 dispose « en cas de conclusion par écrit, le contrat de travail doit être établi en
deux exemplaires revêtus des signatures du salarié et de l’employeur légalisées
par l’autorité compétente. Le salarié conserve l’un des deux exemplaires ».
Cela
veut dire qu’a contrario, le contrat
de travail peut ne pas être écrit.
En
tout état de cause, le juge n'est pas lié par les stipulations du contrat, il observe la relation de fait qui existe entre l’employeur et le salarié. Le
contrat peut bien stipuler qu’il s’agit d’une prestation de jardinage, mais si
dans les faits il s’avère que le salarié effectue en plus d’autres prestations,
le juge écarte la qualification retenue par les parties et regarde exclusivement
la situation de fait existant entre elles.
À ce
titre, l’article 18 du même code dispose que
« la preuve de l’existence du
contrat de travail peut être rapportée par tous les moyens ».
Ainsi,
il ne peut résulter de l’inexistence d’un contrat de travail écrit l’absence de
tout lien de subordination.
Une
fois l’existence d’un lien de subordination constatée, ainsi que l’existence
d’un contrat de travail à durée indéterminée établie, quelles sont les
conséquences de cette qualification sur le licenciement du salarié ?
Le licenciement du salarié.
L’article
52 du Code du travail dispose : « le
salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée a droit à une
indemnité, en cas de licenciement après six mois de travail dans la même
entreprise quels que soient le mode de rémunération et la périodicité du
paiement du salaire ».
Cet
article n’impose en aucun cas l’absence de faute de la part du salarié pour que
cette indemnité lui soit versée. Il y a donc droit quel que soit le motif de
son licenciement.
Outre cette indemnité qu'on appelle "indemnité de licenciement", l'article 35 du Code du travail dispose : « est interdit le licenciement d’un salarié sans motif valable sauf si celui-ci est lié à son aptitude ou à sa conduite », il s'agit alors d'un licenciement abusif qui donne droit à une indemnité de licenciement abusif séparée de la simple indemnité de licenciement susvisée.
Un
autre article, l’article 39, précise les cas où un salarié peut être licencié.
Celui-ci ne peut l’être que s’il a commis une faute grave, entrant dans le champ de cet article : « sont considérées comme fautes graves pouvant
provoquer le licenciement du salarié :
- - le délit
portant atteinte à l’honneur, à la confiance ou aux bonnes mœurs ayant donné
lieu à un jugement définitif et privatif de liberté ;
- - la
divulgation d’un secret professionnel ayant causé un préjudice à
l’entreprise ;
- - le fait de
commettre les actes suivants à l’intérieur de l’établissement ou pendant le
travail :
·
le
vol ;
·
l’abus de
confiance ;
·
l’ivresse
publique ;
·
la
consommation de stupéfiants ;
·
l’agression
corporelle ;
·
l’insulte
grave ;
·
le refus
délibéré et injustifié du salarié d’exécuter un travail de sa compétence ;
·
l’absence
non justifiée du salarié pour plus de quatre jours ou de huit demi-journées
pendant une période de douze mois ;
·
la
détérioration grave des équipements, des machines ou des matières premières
causée délibérément par le salarié ou à la suite d’une négligence de sa
part ;
·
la faute
du salarié occasionnant un dommage matériel considérable à l’employeur ;
·
l’inobservation
par le salarié des instructions à suivre pour garantir la sécurité du travail
ou de l’établissement ayant causé un dommage considérable ;
·
l’incitation
à la débauche ;
·
toute
forme de violence ou d’agression dirigée contre un salarié, l’employeur ou son
représentant portant atteinte au fonctionnement de l’entreprise ;
·
l’incitation
à la débauche.
Dans ce cas, l’inspecteur du travail
constate l’atteinte au fonctionnement de l’établissement et en dresse un procès
verbal ».
Sauf
à prouver que le salarié a commis l’une des fautes susvisées, l’employeur ne
peut licencier comme bon lui semble. Même dans le cas où la faute est réelle, sa
constatation par l’inspection du travail est nécessaire.
Si
ces règles ne sont pas respectées, l’employeur engage sa responsabilité, et le
salarié a droit à une indemnité pour licenciement abusif, indemnisation
acceptée par la Cour d’appel de Kenitra en se basant sur les dispositions du
Code du travail.
Oui, mais bon.
Dans
d’autres Etats, il arrive souvent que les plus hautes juridictions prononcent
des arrêts absurdes afin de faire réagir le législateur.
Dans
ces mêmes Etats, le législateur est au fait de toutes les décisions prononcées,
et parfois, il réagit par l’adoption d’une loi neutralisant les conséquences
jurisprudentielles de ces décisions, c’était le cas en France avec l’arrêt Perruche par exemple.
J’avoue
avoir du mal à croire que les juges de la Cour suprême ont statué ainsi dans le
but de faire adopter une législation relative aux domestiques. Si tel est le
cas, ils se rendront vite compte que ce n’est pas la bonne stratégie puisqu’un projet de loi sur la question traîne au parlement depuis un an.
Le
juge judiciaire peut adopter deux positions. Soit il choisit la facilité en
disant qu’il y a vide juridique - et même dans ce cas il aurait pu statuer en
faveur du salarié tant il a le pouvoir de créer des contrats sui generis – et débouter tout
domestique se présentant devant lui.
Soit
il choisit le courage de faire son travail qui consiste à protéger les « droits et libertés et la sécurité judiciaire
des personnes » (article 117 de la Constitution) quitte
à provoquer un séisme jurisprudentiel ce qui n’aurait d’autres conséquences que
de faire réagir le législateur (enfin !).
En
l’espèce, il choisit de rendre un arrêt lâche et vide de sens laissant les
domestiques à la merci de leurs employeurs qui n’ont aucun scrupule à les
exploiter comme on exploite des esclaves.
PS :
Cet article aurait été plus long si j’avais parlé du délit pénal de travail
dissimulé commis par l’employeur.