Il y
a quelques semaines, nous avons appris la libération de Rabii Tazi et Khalil Ben Driss, condamnés
en première instance pour enlèvement, agressions physiques, viol, intimidations
et pressions sur deux mineures, Jihane et Hiba.
En
effet, après neuf mois de réclusion, les deux accusés ont rédigé une lettre
d’excuses adressée aux deux victimes. Les mères de ces dernières ont fini par
les accepter, s’en est ensuivie une réduction considérable de leur peine.
L’article
486 du Code pénal dispose : « Le
viol est un acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme
contre le gré de celle-ci. Il est puni de la réclusion de cinq à dix ans »,
un deuxième alinéa ajoute « toutefois
si le viol a été commis sur la personne
d’une mineure de moins de dix-huit ans, (…) la peine est la réclusion de
dix à vingt ans ».
Outre
la rédaction désastreuse de cet article qui doit être rigoureusement réformé –
à l’instar de tous les articles qui forment le Code pénal marocain – il me
semble inutile de faire ici une analyse juridique des faits afin de vérifier si
la qualification retenue par les juges est la bonne.
Parlons droit, donc.
La
minorité des victimes est un facteur important sous deux aspects.
D’abord,
elles n’ont pas la qualité pour agir en justice, vu leur minorité. Pour ce
faire, elles doivent être représentées par leurs tuteurs légaux qui ont, eux,
qualité pour agir, et c’est précisément ce qu’ont fait Fatim-zahra Yaacoubi et
Jamila Sayouri. À ce titre, Il me semble malvenu de critiquer le pardon qu’elles
ont accordé aux accusés, puisqu’elles affirment – et j’ai envie de les croire –
que cette décision a été prise en concertation avec leurs filles qui ont donné
leur consentement – ici aussi, je doute de la valeur juridique du consentement
donné par une mineure, mais passons.
Le
deuxième aspect réside dans le fait que les deux victimes sont justement
mineures. Comme rappelé plus haut, la minorité, en cas de viol, est une
circonstance aggravante qui ramène la peine encourue par les violeurs de dix à
vingt ans, au lieu de cinq à dix ans.
C’est
précisément ce deuxième point qui est préoccupant.
Ainsi,
non seulement les deux accusés n’ont été condamnés qu’à neuf mois de réclusion
et quinze mois de réclusion avec sursis – je me demande ici où est l’application
de l’article 486 du Code pénal et si les juges au Maroc sont libres de fixer
les peines comme bon leur semble, en matière pénale qui plus est. Mais en plus,
ils sont aujourd’hui libres, stricto sensu, puisqu’ils circulent impunément
dans les rues de Rabat.
Mais que fait la justice ?
Le
Procureur du roi a, ici, à mon sens, un rôle central. En effet, il représente
les intérêts de la société, il doit à ce titre, évaluer la gravité des faits
reprochés aux accusés et proposer une peine au juge qui, lui, devra statuer. Le
procureur ne prononce donc pas de jugement, il ne fait que proposer une peine
au juge qui, lui seul, a le pouvoir de condamner ou non.
Certes,
il a l’opportunité des poursuites, c’est-à-dire qu’il peut décider d’un
classement sans suite de la procédure et n’est en aucun cas obligé d’accomplir un
acte de poursuite. Mais justement, ce classement sans suite répond à des
critères précis : soit il n’y a pas d’infraction ; soit il est
impossible d’identifier les auteurs présumés de l’infraction ; soit les
faits sont prescrits.
Or,
en l’espèce, aucune de ces conditions n’est remplie, et il y a viol, sur mineures. Je ne vois donc
pas comment le ministère public a pu arriver à la conclusion que des
poursuites dans ce cas ne seraient pas opportunes.
Il
ne faut pas se méprendre sur les enjeux de cette affaire. Peut-être que Rabii
et Khalil sont innocents, peut-être que leurs excuses sont sincères, je
pousserais même le vice plus loin en disant que le pardon accordé par les
victimes est un geste noble, mais là n’est absolument pas la question.
La
vraie question est de savoir quel est le rôle de la justice dans la
condamnation de faits graves commis sur mineures. La vraie question est de
savoir quel est le rôle du Procureur du roi, est-il là pour protéger les
intérêts de la société, toute la société, ou n’est-il là que pour satisfaire
les changements d’humeur des familles des victimes ?
Une
dernière question, subsidiaire, se pose : quelle différence entre un
procureur qui accepte de marier la victime à son violeur et un procureur qui
abandonne les poursuites parce que les familles ont accordé leur pardon ? À
cette question, j’ai une réponse : aucune.