mercredi 8 juillet 2015

Nul n’est censé ignorer la loi, surtout pas le Ministère public



Les faits

Deux femmes vêtues de robes à Inzegane ont été arrêtées et poursuivies par le Procureur du roi d’Agadir pour outrage public à la pudeur.
Celles-ci avaient interpellé les forces de l’ordre lorsqu’une foule indignée par leur tenue s’est rassemblée autour d’elles.

Quid juris ?

L’article 483 du Code pénal prévoit dans son premier alinéa :

« Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l’obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l’emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams ».

C’est cet article-la qui a fondé les poursuites engagées contre les prévenues.
Constituent une infraction lorsque commises dans l’espace public :
-       La nudité volontaire ;
-       L’obscénité des gestes ou des actes.

Le terme nudité est défini par le dictionnaire Larousse comme le fait d’être non vêtu. L’on a alors du mal à comprendre en quoi le fait de porter une robe constitue un acte d’exhibition. Traduite en termes juridiques, la nudité constitue une exhibition à caractère sexuel, dans l’espace public, ayant pour objet de choquer.
Quant à l’expression « l’obscénité des gestes ou des actes », elle pourrait avoir autant d’interprétations que de personnes sur la planète terre et au-delà.
L’on croirait presque que le caractère restrictif du terme « état de nudité » est annulé par l’interprétation large et extensive que l’on peut faire de l’expression « obscénité de ses gestes ou de ses actes », et que l’on pourrait qualifier de fourre-tout juridique.

Le procureur

L’ambiguïté des termes n’a pourtant pas empêché le Procureur du roi de poursuivre les deux femmes, conformément au pouvoir qui lui est conféré par l’article 38 du Code de procédure pénale qui dispose :

« Le procureur du Roi :
-       reçoit les procès-verbaux, les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner ;
-       procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale ;
-       saisit les juridictions d'instruction ou de jugement compétentes pour en connaître, ou ordonne leur classement par une décision toujours révocable;
(…) »

En effet, le Procureur du roi dispose de l’opportunité des poursuites. C’est-à-dire qu’il apprécie l’intérêt qu’il y a à poursuivre une personne pour une infraction déterminée. Il peut de facto décider que des poursuites ne sont pas opportunes notamment lorsque l’infraction n’est pas constituée ou lorsque les faits qui lui sont présentés ne sont pas suffisamment probants.

Nonobstant ces pouvoirs, le Procureur du roi n’est pas un électron libre. Il s’agit en effet d’un magistrat du parquet placé sous le contrôle hiérarchique du chef du parquet général et plus largement sous celui du Ministère de la justice et des libertés. Par conséquent, et contrairement aux magistrats du siège, les magistrats du parquet ne sont pas tout à fait indépendants.
Le second alinéa de l’article 110 de la Constitution le rappelle d’ailleurs lorsqu’il précise « Les magistrats du parquet sont tenus à l’application de la loi et doivent se conformer aux instructions écrites, conformes à la loi, émanant de l’autorité hiérarchique ». L’article 116 in fine ajoute « dans les affaires concernant les magistrats du parquet, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire prend en considération les rapports d’évaluation établis par l’autorité hiérarchique dont ils relèvent ».

Plus important encore, l’article 128 de la Loi fondamentale dispose que la police judiciaire agit sous l’autorité du ministère public en ce qui concerne « les investigations nécessaires à la recherche des infractions, à l’arrestation des délinquants et à l’établissement de la vérité ». Or, dans son réquisitoire, le Procureur du roi aurait insisté sur le fait qu’il aurait reçu de mauvaises informations de la part des forces de l’ordre, ce qui l’aurait induit en erreur et l’aurait mené à engager des poursuites.

La morale de l’histoire 

S’il fallait résumer la morale de cette histoire en une seule phrase, ce serait celle-là : nemo censetur ignorare legem*, surtout pas le Procureur du roi. 
Il ne s’agit pas là d’un cas d’espèce ou d’un fait divers. Cette affaire est symptomatique du danger que peut représenter l’interprétation extensive du Code pénal sur les libertés individuelles des citoyens et sur la paix sociale.

Elle nous montre également à quel point le rôle du Ministère public est central. Ce dernier est chargé d’engager des poursuites à chaque fois que la loi a été violée, et que cette constatation doit être faite au bout d’une enquête sérieuse. Il ne peut plus se permettre d’engager des poursuites fantaisistes et dénuées de base légale sans encourir de sanctions disciplinaires. Ces sanctions n'empêchent d'ailleurs pas d’engager la responsabilité de l’État comme le permet l’article 122 de la Constitution.

Et si cette affaire installait une autre jurisprudence que celle interdisant aux femmes de porter une robe ? Ce serait la jurisprudence Inzegane rappelant à l’ordre tous les procureurs du Royaume. On peut rêver, non ?



*Nul n’est censé ignorer la loi.

jeudi 5 mars 2015

Et toi, tu marches ?


L’article 19 de la Constitution marocaine dispose dans son premier alinéa « l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental (…) ».

Pourtant, ce principe, inscrit sur papier est loin de la réalité. Il suffit de regarder d’autres textes qui, malgré leur valeur infractonstitutionnelle, sont contraires à l’article 19.
À ce titre, rappelons les inégalités en matière d’héritage, celles touchant à l’interdiction du mariage des femmes marocaines avec des hommes non-musulmans, la pénalisation pure et simple de l’avortement déniant ainsi aux femmes leur droit de choisir.
Rappelons également l’aberrante impunité dont jouissent les violeurs et qui sont encore aujourd’hui autorisés à épouser leurs victimes – même mineures ! –, échappant ainsi à toutes poursuites pénales.
Rappelons l’absence de législation en matière de harcèlement sexuel sur les lieux publics, et les difficultés rencontrées par les femmes dans leur milieu de travail ou harcèlement et discrimination sont le principe et non l’exception. Peut-on réellement imaginer qu’une personne qui ne peut accéder à l’espace public sans risquer son intégrité physique et psychique se sente pleinement citoyenne ?
Rappelons également l’indifférence totale du ministère public face aux violences faites aux femmes, notamment les viols et autres agressions sexuelles, pourtant faisant l’objet de dispositions pénales, mais dont les auteurs ne sont jamais inquiétés. 
Lorsque les femmes, victimes de la pression sociale dont elles font incontestablement l’objet, refusent de porter plainte, quel rôle du Procureur du roi ? Aucun, le droit est balayé d’un revers de main au profit d’accords familiaux, sans même s’assurer que le consentement de la victime est éclairé – et comment peut-il l’être en présence d’une victime mineure ?

Aujourd’hui, au Maroc, être une femme est un combat permanent et fatigant. Je* suis fatiguée de ne pas pouvoir marcher dans la rue, je suis fatiguée de devoir justifier mes choix personnels, d’exiger le respect parce que je suis « comme ta sœur » ou « comme ta mère ». Je suis fatiguée de devoir sans cesse construire une argumentation pour démontrer que je suis comme l’homme : un être humain doté de raison et que, de facto, j’ai droit à la dignité. Je suis fatiguée. 

Le 8 mars prochain, des hommes et des femmes défileront pour l’égalité à Rabat. 
Est-ce nécessaire ? Oui, parce qu'il faut se soulever contre l'inégalité, mais aussi contre l'humiliation permanente des femmes par le gouvernement et autres responsables politiques, au sein même du Parlement. Oui, parce qu'il faut montrer aux Marocains que défendre le droit des femmes n'est pas l'apanage des partis politiques ou des associations dites féministes, que c'est une cause qui touche tous les citoyens, quelles que soient leurs orientations politiques. À ceux qui critiquent la récupération politique de la « cause féministe », je vous demande de vous l'approprier, de l'arracher comme on arrache  la liberté









*N’ayant pas reçu mandat pour parler au nom de toutes les femmes, j’utilise la première personne du singulier.