lundi 21 août 2017

Mesdames, l'espace public ne vous appartient pas

Il y a quelques heures, une vidéo représentant une femme dans un bus, visiblement victime d’agression sexuelle de la part de plusieurs adolescents, a fait le tour du web.

Au Maroc, et contrairement à ce que certains peuvent avancer, ces scènes ne sont pas « nouvelles », et ces violences ne sont pas récentes. La différence, étant qu’elles sont aujourd’hui filmées et diffusées sur internet.

Passés le choc et le dégoût – en réalité, ils ne s’estomperont jamais – il est temps de réfléchir. Comment une agression d’une telle violence est-elle possible ? Comment est-elle rendue possible dans un espace public : le bus ? Comment peut-elle avoir lieu sans qu’à aucun moment il n’y ait d’intervention extérieure ?

Une autre question me taraude : Que fait l’Etat ? Que fait le législateur ? Que fait la justice ? Où sont nos procureurs (il paraît qu’on en a) ?

Le commentaire d’un des internautes m’a particulièrement interpellé : il se désolait de l’incapacité des personnes présentes et des victimes de ces agressions à porter plainte.

Et puis j’ai pensé… mais si les témoins ou les victimes en sont incapables, quid de nos valeureux procureurs dont j’ai précédemment vanté les mérites ?

En réalité, il me semble que certaines définitions clés nous permettent de comprendre pourquoi ces jeunes gens ont commis ces actes avec autant d’aplomb, d’assurance et à la vue de tous.

Code pénal 
Plus qu’un recueil de lois prononçant les peines les plus sévères dans un ordonnancement juridique donné, le Code pénal est une véritable vitrine des valeurs d’une société. En effet, il a vocation à punir les crimes et les délits portant atteinte, non seulement à l’intégrité physique ou psychique d’une victime, mais à l’intégrité de la société toute entière. C’est donc tout naturellement que le Code pénal punit plus ou moins sévèrement les actions que la société considère plus ou moins répréhensibles.

Les agressions et les viols font bien partie de notre arsenal législatif pénal. On peut donc raisonnablement penser que ces délits et crimes sont contraires aux valeurs de notre société.

En recherchant ces infractions dans le Code pénal, on se dirige tout naturellement vers la section « Des crimes et délits contre les personnes ». Que nenni ! Les agressions constitutives de viol ou d’agression sexuelle sont placées sous une autre section intitulée « Des crimes et délits contre l’ordre des familles et la moralité publique ». Ici, les femmes sont considérées comme des parcelles d’une famille, sans existence propre, leur corps appartient à leur famille (et à la moralité publique). Considère-t-on au moins qu’elles soient des personnes ? J’en doute, vraiment.

La valeur que dégage cette infraction telle que prévue dans notre code pénal, c’est la misogynie et non la volonté de protéger l’intégrité des personnes. Les femmes, en tant que catégorie de la société, sont des sous-personnes.

Procureur du Roi
D’après la Constitution et le Code de procédure pénale, le Procureur du Roi est chargé de recevoir les plaintes et de décider de la suite qu’il faut leur donner. Mais ce n’est pas tout ! Il est également chargé de rechercher et de poursuivre les infractions.

Pour résumer, le procureur est chargé de représenter la société lorsque son intégrité est menacée, lorsque les valeurs de la société sont violées (sans mauvais jeu de mots), c’est-à-dire lorsque la loi pénale est bafouée.  

Agression sexuelle
Cette expression ne figure pas en tant que telle dans notre valeureux Code pénal (sauf à l’article 231-4 qui la considère comme une circonstance aggravante lorsqu’elle accompagne des actes de torture).

A sa place, on peut lire « attentat à la pudeur » qui est d’ailleurs puni, mais nullement défini. On peut toutefois le distinguer du viol qui est défini comme l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci. L’imprécision de cette définition nous pousse à l’interrogation : Un baiser volé est-il constitutif d’un viol ? Une relation sexuelle sans pénétration est-elle un viol ? On n’en sait rien, notre Code est beaucoup trop pudique pour nous l’expliquer.

En réalité, l’équation est la suivante…
Pour mettre un terme aux agressions sexuelles dont les femmes sont constamment victimes au Maroc, il faut d’abord qu’elles soient considérées comme égales des hommes au sein même du Code pénal. Que nous soyons des personnes, et non des garantes de la moralité ou l’immoralité de nos familles. Pour cela, il faut que les violences contre les femmes ne fassent plus partie des valeurs de notre société. Malheureusement, le chemin est long, vraiment long.

Aussi, le Code pénal ne définit pas les infractions qu’il punit, alors que c’est le propre d’un Code pénal. Il doit être entièrement modifié. Modifié ? Que dis-je ? Remplacé. Malheureusement, le législateur n’en fait pas sa priorité.

Enfin, le parquet ne remplit pas sa mission. A la tête de nos procureurs, le ministre de la justice, ne définit pas de politique pénale claire visant à assurer notre sécurité. C’est scandaleux.

Pour conclure
Beaucoup d’hommes ne réalisent pas qu’être une femme au Maroc est une souffrance permanente. L’espace public appartient aux hommes, il nous est interdit, et quand nous bravons l’interdit, nous en payons le prix fort, celui de notre intégrité physique et mentale. Une écrasante majorité d’hommes considère que nous sommes des objets sexuels méritant d’être agressées ou violées.

Quelles solutions s’offrent à nous ? En parcourant le Code pénal, j’ai découvert un article qui m’a fait sourire (jaune), l’article 419 qui dispose que le crime de castration est excusable s'il a été immédiatement provoqué par un attentat à la pudeur commis avec violences.

J’ose espérer que cette solution ne soit pas l’unique qui s’offre à nous.